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9 février 2014 7 09 /02 /février /2014 16:22

 

André Hardellet

ou les envoûtements du temps

 

Disparu en 1974, André Hardellet, le poète des vieux quartiers de Paris, des bords de Marne et de Seine, de la mélancolie douce et des vertiges du temps, le poète qui n’a jamais voulu croire que les paradis sont irrémédiablement perdus, est une des figures les plus attachantes de la poésie contemporaine, aujourd’hui vénéré par nombre d’écrivains. Gallimard réédite peu à peu des livres devenus parfois introuvables.

Je reprends ci-dessous deux articles que j’avais publiés dans « La Dépêche du Midi », le premier le 11 octobre 1998, le second le le 19 septembre 1999.

 

DoisneauHardellet-300px.jpgCet amoureux des bords de Marne, des ruelles perdues, des champs de course, des femmes et des bistrots portait la nostalgie avec pudeur, gouaille et sourire narquois, façon Brassens. Il se voulait réaliste et l’était en effet, à la manière d’un Mac Orlan ou d’un Carco, mais avec toujours le merveilleux à portée de plume.
Car Hardellet, qu’il vagabonde dans les vieux quartiers de Paris ou sur les quais, n’est pas seulement le « guetteur invisible » qui se nourrit de la poésie des rues (« spectateur de qualité qui aiguise son regard à la pointe du vocabulaire », disait Hubert Juin), il est aussi en quête d’une autre réalité, toute proche et comme parallèle à la nôtre, où les êtres et les choses se survivraient.

 

« La Cité Montgol » 

 

Comme Breton, il cherche « l’or du temps » à travers des personnages (ceux de ses poèmes comme de ses romans) se consacrant à prendre en défaut la réalité ordinaire. Chez ce brouilleur de pistes, il est toujours des sentiers de traverse qui conduisent, par surprise, de l’autre côté du miroir. Ou dans la mystérieuse Cité Montgol, cette ville fantôme dans la ville elle-même, qu’on découvre un jour fortuitement, dont le souv enir vous poursuit, et qu’on peut passer sa vie à tenter de retrouver.

cite-mongol.jpgLes patries clandestines d’Hardellet sont bien sûr les nôtres. Elles ont des couleurs d’enfance (d’« écolier du jeudi ») et d’amours de banlieue, des parfums de guinguettes et de jardins extraordinaires, le visage des êtres qui ne veulent pas mourir. Avec cette mélancolie douce que leur confère une temporalité bien particulière, quand tout semble embué par la distance, car chez Hardellet « tout se rejoint dans le futur antérieur ».
Ceux qui ne connaissent d’André Hardellet que Bal chez Temporel mis en musique par Guy Beart (poème « Le Tremblay » tiré de « La Cité Mongol » ) peuvent connaître le plaisir d’une découverte, les autres de retrouvailles grâce à la réédition par Gallimard dans sa fameuse collection Poésie, de trois de ses recueils : « La Cité Montgol » (1952), « Le Luisant et la Sorgue » (1954) et « Le Sommeil » (1960). Cette réédition a le mérite de proposer plusieurs facettes du poète-marcheur. On y déambule avec le piéton des rues, mais on découvre aussi l’amoureux des champs, le peintre rustique : « Rien qu’une guêpe bourdonnant, dehors, autour d’un cruchon. Et, avec ce faible bruit, c’est l’Été qui entre dans la cuisine et caresse une botte d’oignons pendue à un clou. »
Le quatrain versifié y côtoie le poème en prose. On s’amuse avec le portraitiste dont la fantaisie invente des métiers et campe de fiers artisans : charmeur d’orages, chercheur d’échos, chef des baisers, semeur de bruits ou poseur de grillons... Vous y attend tout l’art et le charme d’un poète qui n’a jamais voulu croire que les paradis sont irrémédiablement perdus. Ni que l’ombre vaut moins que la proie.

« Une halte dans la durée » par Guy Darol

  André Hardellet est poète jusque dans sa prose et dans ses lettres. Poète pour fervents en même temps que poète populaire, tant son écriture est à la fois limpide et simple et met en jeu toute une attitude poétique (de refus des cloisonnements et des réductions, notamment) devant le monde et la vie. Guy Béart contribua à le faire connaître avec Bal chez Temporel. Un juge fit aussi parler de lui et se ridiculisa en condamnant « Lourdes, lentes » ... Mais les amateurs n’ignorent rien du « Seuil du jardin » , du « Parc des Archers » , de « Donnez-moi le temps » ou de « Lady Long Solo » . darol_hardellet.jpg
Guy Darol lui a consacré à son tour un essai au Castor astral, intitulé « André Hardellet, une halte dans la durée » (une première édition était sous-titrée « Le don de double vie »). Avec son visage à mi chemin entre Prévert et Brassens, Hardellet était un disciple de Fargue par son goût de l’errance au hasard des rues, et de Nerval par son sens de l’invisible qui nous côtoie. On représente souvent Hardellet en flâneur des ruelles et des bords de Marne, en amateur de guinguettes et de champs de course, livré aux envoûtements du temps et tout habité d’une terrible nostalgie. L’image n’est pas fausse, mais réductrice. Guy Darol s’attache, lui, à révéler chez ce visiteur de la « cinémathèque du temps » le chercheur de « l’ailleurs ici-bas », pour qui la marche était un moyen de trouver des failles dans les apparences d’une durée linéaire, des passerelles entre hier et aujourd’hui, voire demain.
Comme Breton, comme Proust, Hardellet est fasciné par le hasard qui veut que le passé empiète parfois sur le présent et ressuscite, dans sa totalité, tout un monde au cœur d’instants fugitifs. Pour lui, le temps est circulaire et l’imaginaire n’est pas déconnecté du réel mais le prolonge. Sa marche et son écriture veulent accéder au seuil des possibles, et travaillent à provoquer des réminiscences, à traquer ce point nodal où par la grâce des images affectives et justes, le temps et l’espace se mettent un instant à obéir au désir, où « toujours » se substitue à « jamais plus ». Ce monde sans séparation est une quête – Hardellet prenait soin de se dire « auteur de fictions » – que reprend à son compte avec beaucoup de passion et d’empathie Guy Darol, en même temps qu’il ressuscite une des figures les plus attachantes de la poésie contemporaine.

Michel Baglin

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