- Marie Rouanet, Yves Rouquette, Jacques Ibanès (qui a créé un récital autour d’Yves), et Michel Baglin à "La Serre".
Les livres d’Yves Rouquette (en occitan Ives Roqueta) ne sont pas toujours, hélas, disponibles (tel est le cas, par exemple, du magnifique « Le fils du père » que j’ai pu trouver d’occasion sur le web et que Loubatières serait bien inspiré de rééditer !). C’est pourquoi l’une de ses dernières publications, « Pas que la fam » (« La faim, seule ») qui est un choix de poèmes effectué par l’auteur à travers ses 50 années de poésie occitane, est à ne pas rater ! L’auteur de « La messe pour les cochons » y donne à lire, en occitan et dans des traductions effectuées par lui-même, ou parfois par son épouse Marie Rouanet, ou encore par F-J. Temple, un large éventail de sa poésie, depuis son premier recueil, « L’escrivèire public » (« L’écrivain public ») paru en 1958.
Son préfacier, Joan Eygun, en ouverture à ces 170 pages, parle à juste titre, non de poésie paysanne, mais de « poésie élémentaire ». Elle en a en effet la force, l’impudeur, parfois la violence et puise sans pathos à tous les thèmes fondamentaux de la condition humaine et de la vie tout court. Yves Rouquette le proclame : « Lexique aussi bien que syntaxe / nous viennent du foirail / de la vie aux champs, du café, / de la table et du lit, / des plus ordinaires des jours, / mais c’est grâce quand ils irradient. » Le vers râpeux et vigoureux sait en effet « aller au monde aiguiser notre faim / d’absolu / dans le trivial ou la beauté ». Les poèmes sont tableaux, odes, célébrations ou contes, tout pétris de cruauté et de pitié pour les vivants douloureux, de piété aussi, dans une foi sans doute pas très orthodoxe, mais fervente, avec un Christ plutôt anar, un Christ qu’on force aujourd’hui à rire jusqu’aux oreilles à coups de rasoir…
Oui, les poèmes racontent de petites histoires, une scène d’hospice, un four qu’on rebâtit tout en consolidant sa langue, une fille qui frotte une pomme et la jette aux rats qui attendent « pour se rendre maitres de tout », ou cette autre belle qui sert l’eau de vie le jour de battage et allume les yeux des hommes... Oui, « c’est toujours / la même innocence, / toujours la même cruauté / qui d’un bout de la chaîne à l’autre / font exister tout ce qui vit. » Oui, les poèmes sont un chant qui décline « les chaudes raisons de s’accrocher à la terre », la chair qui nous donne « la certitude d’un infini à notre mesure exacte », la femme qui « vous pousse dans le sens de plus de clarté », et il s’agit bien de « traduire tout ça en langage commun qui donne faim et force », il s’agit bien d’user de « la plume pour pioche » pour « arracher à la vie les autres vies qu’il nous fallait / pour ne pas désespérer de la nôtre ».
Truculent et tonique
Le poème « est un travail » et n’a certes rien d’innocent. Yves Rouquette ne se paie pas de mots ni d’illusions : « Je ne répo
nds de rien. Et pour personne. Nous sommes seuls » affirme-t-il. Mais en dépit de la mort toujours terriblement présente, des « angoisses de l’origine » et des mille autres tourments des vivants, il a le verbe truculent et tonique, rappel ant que « tout, absolument tout, / est d’une indécence totale » et que « nos hymnes les plus désespérés / sont de merci et de louange. »
« Je m’entends cheminer vers le jour », dit-il, ramenant de cette naissance du fond des temps, et de ses pérégrinations, les cailloux du chemin qui le lestent, qui nous lestent. Lui qui a été un des animateurs du mouvement politique et culturel occitan (il a notamment fondé le label Ventadorn ayant permis à la nouvelle chanson occitane de trouver une nouvelle audience), le fait – et ce n’est pas le moindre de ses engagements – dans une belle langue d’Oc que ceux qui ont la chance de l’entendre sauront apprécier, et qui sans doute est consubstantielle à son propos. Ne l’oublions pas, « C’est au pied de la lettre / que nos mots sont à prendre. »
( 176 pages. 20 €. Édition bilingue Occitan – Français. Les Lettres occitanes - Letras d’òc. (Bt L’Aune 5 rue Pons Capdenier. 31500 Toulouse) letras.doc@wanadoo.fr www.letrasdoc.org
Marqué par une expérience chrétienne à par la révolte (il a été de bien des luettes sociales, des grèves de Decazeville à la défense des paysans du Larzac), Yves Rouquette est aussi un militant du mouvement politique et culturel occitan. Il est le fondateur de la revue Viure (1965-1973) et du Comité occitan d’études et d’act ion. Il fut un des principaux animateurs du mouvement « Volèm viure al païs » et est à l’origine de la maison de disques Ventadorn (1969), qui a lancé la nouvelle chanson occitane, et du Centre international de documentation occitane (1974), à Béziers (aujourd’hui Centre interrégional de développement de l’occitan).
Son itinéraire poétique a débuté avec « l’Écrivain public », en 1958. Et s’est poursuivi avec « le Mal de la terre » (1960), « l’Ode à Saint Afrodise » (1968), « Messe pour les cochons » (1970).
En prose, il est l’auteur de « la Patience » (1962), « Le poète est une vache » (1967), « Made in France » (1970), « le Travail des main »s (1977), « Le fils du père » (1993), etc. Il est l’auteur de contes pour enfants, pièces de théâtre, essais, et est également chroniqueur, notamment à « La Dépêche du Midi"
- Un double hommage a été rendu à marie et à Yves avec une exposition au Musée des Beaux-arts de Béziers, du 28 mai au 15 septembre 2013