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  • : Site comprenant des comptes-rendus de lectures de livres: recueils de poésie, de nouvelles, romans, essais. Et diverses informations sur la vie littéraire.
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21 novembre 2013 4 21 /11 /novembre /2013 20:01
« L’Autan des nouvellistes »

Il manque quelques noms, certes, mais pour l’essentiel, les auteurs de Toulouse sont réunis dans ce recueil, « L’Autan des nouvellistes » , soit dix-sept écrivains amoureux de l’histoire courte. L’initiative en revient à l’Atelier du Gué, éditeur spécialisé dans la nouvelle et qui publie depuis de nombreuses décennies la revue Brèves, la plus importante en France consacrée à ce genre littéraire.

 

Ce genre, souvent considéré comme majeur (chez les Anglo-Saxons notamment) et paradoxalement assez mal connu au pays de Mérimée et Maupassant, offre aux écrivains une grande liberté et autorise bien des inventions formelles, qui a leur tour ouvrent des pistes à l’imagination.
Les auteurs de collectif, aux styles très divers, ne manquent pas de les emprunter. Mouloud Akkouche, par exemple qui prend prétexte de voix entendues par son héroïne pour investiguer le passé. Ou Jean-Jacques Marimbert qui réinvente les fantômes pour sonder les profondeurs de la détresse secrète. Cela peut être tragique, comme cet enfermement dans la lecture d’une femme condamnée raconté par Emmanuelle Urien, ou cette autre fin de vie brutale et poignante mise en scène par Frédérique Martin. Cela peut être beaucoup plus léger, voire facétieux dans le style de Julien Campredon. Relever du huis-clos avec Manu Causse ou nous entrainer dans un maquis corse de plein vent avec Serge Pey et Michel Baglin. La nouvelle d’anticipation offre une lecture politique rétrospective de nos travers avec Alain Leygonie, l’histoire et l’Espagne franquiste s’invitent avec Francis Pornon, tandis que Jan Thirion ou Magali Duru nous proposent des ambiances plus noires ou polardeuses et qu’Hélène Duffau, à travers l’évocation d’une échauffourée entre marginaux, laisse deviner un désarroi plus vaste, celui d’une société.

 

Dans ces moments suspendus, le sens d’une vie se dévoile souvent (Didier Goupil), un bref épisode échangiste peut par exemple en dire plus long qu’il n’y paraît (Brice Torrecillas), ou la scène d’une destruction de photos raconter un désastre intime (Marie-Josée Bertaux). Le sens de la chute, souvent l’apanage de la nouvelle, ne manque pas à ces auteurs, comme nous le prouve encore Alain Monnier et sa « trace de l’ange » qui prend toute sa force dans les dernières lignes.

 

Certaines de ces histoires courtes se déroulent à Toulouse, d’autres dans la région, mais même situées ailleurs, le plus souvent s’y rattachent. Peu importe d’ailleurs où l’on situe le drame, la tranche de vie réaliste, la scène onirique ou le tableau, pourvu qu’on découvre dans ces pages assez d’universalité pour s’y retrouver en pays de connaissance.

(« L’Autan des nouvellistes, dix-sept écrivains toulousains ». Atelier du Gué. 234 pages. 20 euros)

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15 novembre 2013 5 15 /11 /novembre /2013 10:45
16 écrivains racontent le livre d'où ils viennent

Pour la deuxième année consécutive, Guy Rouquet et son Atelier imaginaire ont réuni des écrivains autour du thème d’un livre que chacun reconnaît pour essentiel ou fondateur. Avec pour titre l’an dernier « Le Livre d’où je viens » et cette année, « Mon royaume pour un livre » (toujours édités au Castor Astral). Le créateur des prix Max-Pol Fouchet (poésie) et Prométhée (nouvelles), qui a décidé de mettre un terme à leur attribution, pour autant n’en a pas renoncé à écrire « un livre invisible », celui qu’il complète année après année avec les « compagnons de songes » que sont les jurés des deux prix.
Ce « livre invisible » commencé en 1974, comprend certes de riches moments de spectacles, de rencontres, de lectures (lors de la Quinzaine annuelle qui se déroule à lourdes et Tarbes en octobre), mais aussi les milliers de pages des livres que l’Atelier imaginaire a contribué à faire éclore. Parmi ceux-ci, les recueils collectifs des jurés, et singulièrement ces deux ouvrages où chacun se raconte en racontant « son » livre de chevet ou de naissance. Ils étaient seize l’an dernier, ils sont également seize pour cette nouvelle vendange, auxquels s’ajoute Joël Schmidt, le préfacier, qui rappelle les enjeux de la littérature en citant Romain Rolland : « On ne lit jamais un livre, on se lit à travers les livres ».
Ces livres dont on porte la cicatrice « comme un nombril », les auteurs les révèlent ici, un peu comme un secret. Marie-Claire Bancquart évoque son attachement à l’œuvre d’André Frénaud et singulièrement à ses « Rois mages » . Claude Beausoleil le Québécois, aux poésies de son compatriote Émile Nelligan. Jean-Claude Bologne dit sa dette envers Anouilh et son « Antigone » tandis qu’Éric Brogniet parle du grand livre du monde à travers Rimbaud, Breton, Michaux, etc. et que Magda Carneci raconte la quête d’un « livre d’or » demeuré énigmatique. « L’invention de Morel » d’Adolfo Bioy Casares est « le roman de Damas » de Georges-Olivier Châteaureynaud, quand Abdelkader Djemaï cherche toujours le titre d’un livre de la « Bibliothèque verte » qui l’a lancé sur la voie de l’écriture et que Syviane Dupuis, poète et dramaturge, évoque « Six personnages en quête d’auteur » de Pirandello. Guy Goffette ne sait qui choisir entre Rimbaud, Claudel, Verlaine, et Anise Koltz paie sa dette aux écrivains allemands, quand Jean-Pierre Lemaire dit son admiration pour « Du Canzoniere » d’Umberto Saba. Rousseau et Anténor Firmin sont, entre autres, les inspirateurs de Jean Métellus. Claude Mourthé parle lui des « Raisins de la colère » de Steinbeck et des auteurs américains qu’il affectionne, Yves Rouquette dit sa reconnaissance à Robert Lafont qui l’a réconcilié avec sa langue d’Oc en lui donnant accès à ses trésors, Amina Saïd évoque surtout la poésie, mais aussi Sherwood Anderson et Ungaretti, alors que Frédéric Jacques Temple raconte comment « Le dernier des Mohicans » de James Fenimore Cooper l’accompagne depuis l’enfance.
Nul, bien sûr, ne vient d’un seul livre et chacun a été invité à indiquer dix titres d’ouvrages marquants, à la source de son imaginaire. Choix qu’ils justifient les uns et les autres et qui constituent pour le lecteur de précieuses pistes et de ferventes incitations.

(« Mon royaume pour un livre ». Avant-propos de Guy Rouquet. Le Castor Astral. 188 pages. 15 euros)

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28 juin 2013 5 28 /06 /juin /2013 11:55
Des livres « au cœur gros »Charnet-tristesse-durera.jpg

 

« Proses du fils » fut son premier livre. Parmi les meilleurs représentants de l’autofiction, Yves Charnet y déployait une force poétique et une voix douloureuse qui le fit immédiatement remarquer. Vingt ans après, avec « La tristesse durera toujours » et son hommage à une institutrice qui réchauffa son cœur de gosse, il entreprend un journal de deuil et un retour en forme de pèlerinage sur les bords de la Loire.

 

Yves Charnet a fait une entrée remarquée en littérature, en 1993 avec « Proses du fils » (la Table ronde), salué par de nombreux écrivains dont moult poètes (Deguy, Michon, Pirotte, Bergounioux, Emaz, etc.) Normal : ce prosateur de l’autofiction a une concision, une densité d’écriture, une manière de faire rayonner ses phrases courtes, et une vraie « voix » qui apparentent ses pages à des poèmes. Spécialiste de Baudelaire et de la poésie contemporaine (il a notamment consacré un livre à Jacques Ancet), il écrit en résonance avec tout ce qui se trame dans la langue et l’imaginaire d’une époque.
Il n’empêche qu’il s’agit bien de narration. Charnet raconte et se raconte. Sa bâtardise jamais digérée (« ni père ni repaire »). La solitude à deux avec sa mère taiseuse (entrée dans « la religion du fils »), Nevers et ses bords de Loire mélancoliques, les livres, la chanson (Trenet, Brel, Gainsbourg, Sardou) qui lui ouvre des horizons dans son isolement. Plus tard ses amours, son père suicidé. Des scènes et des épisodes qui constituent le vivier intime où son écriture jette ses lignes. Tout est ici affaire de style et celui de Charnet emporte l’adhésion, par sa force et sa justesse.
Bien d’autres livres ont suivi depuis ces « Proses du fils », entre autres des évocations de cette tauromachie qu’il affectionne ( « Lettres à Bautista » , la Table Ronde). Ainsi qu’un livre tiré de quatre saisons passées en résidence chez Maurice Guérin, « Petite chambre ».

« Petite chambre »

Cette « Petite chambre » est celle d’un poète, donc, Maurice de Guérin (1810-1839). Un poète presque oublié aujourd’hui, intimiste et romantique à la fois, qui mourut jeune après s’être retiré avec sa sœur Eugénie (vierge solitaire et poétesse, elle aussi) dans leur maison natale du Carla, dans le Tarn.
Yves Charnet y a vécu quatre saisons, en résidence d’auteur, marchant sur les traces de cet héritier de Chateaubriand et ami de Barbey d’Aurevilly, entrant dans son intimité en se posant dans sa maison et ses paysages, devinant sa mélancolie et son mal de vivre. Il aurait pu ramener de ce voyage une étude sur le romantisme, cette « poétique de la sensation », ou un reportage. Mais c’est un livre bien plus personnel qu’il a tiré de sa balade en compagnie de Guérin, cet étrange auteur dont Mauriac et bien d’autres se réclamèrent. Un livre serré, musical (Charnet, devenu Toulousain depuis pas mal d’années, et ami de Nougaro, est aussi un amoureux du jazz), ou l’empathie est à l’œuvre : car c’est en « frère » qu’il aborde son personnage et c’est à travers lui qu’il renoue avec ses thèmes, ceux qui irriguaient ses précédents livres, « Proses du fils », « Cœur furieux » , etc. « Je voudrais écrire des livres déchirés par ce qui fait de vivre cette expérience déchirante », écrit-il. Et d’affirmer encore qu’écrire est « un art de toréer ses hantises ». Yves Charnet, dans ce texte comme dans ses précédents, descend en effet dans l’arène. Écorché vif toujours, mais aussi styliste et poète. Qui se bat contre des ombres en plein soleil et vérifie, une fois encore, qu’« on est toujours quelqu’un d’autre. »

« La tristesse durera toujours »

Le dernier en date de ses livres, « La tristesse durera toujours » emprunte son titre a une phrase attribuée à Van Gogh, dans le film « A nos amours » de Maurice Pialat, que Charnet affectionne (il revient souvent sur le film « Le Garçu » qui a sa préférence). La tonalité élégiaque est donc donnée d’entrée. Avec la mort de Madame G. et l’hommage qu’il annonce entreprendre.
Madame G. est une ami de sa mère, institutrice comme elle, qui les avait tous les deux en affection et qui les invitait le dimanche au restaurant. Une « grand-mère imaginaire  » qui a les couleurs mélancoliques et chavirées de son enfance et du manque, une femme qui fut un peu son soleil de gosse, qui l’aida à échapper à « l’enfermaman » et dont il ne peut faire le deuil.
Madame G. habitait La Charité-sur-Loire, près de Nevers, et les pas du narrateur le ramènent en pèlerinage ses lieux hantés dont il fait vivre la poignante nostalgie. Ainsi, vingt ans après, les proses du fils se réactualisent-elles, et la douleur se réveille, si tant est qu’elle se soit jamais assoupie. Telle est « la matière vivante des livres » et la mémoire des hommes qui ont tant de mal à aller à l’essentiel. « Un écrivain n’habite jamais rien d’autre, à la fin, que son chagrin (…) J’écris un livre au cœur gros. Tombeau de Madame G. J’écris un journal de deuil ».
« La vie va trop vite pour être vécue » et l’écriture de l’intime tente de lui restituer un peu d’épaisseur, comme de mérite – le propre même de la poésie. De trouver une identité aussi, pour celui qui ne s’est jamais senti « quelqu’un », mais toujours « multiple » et déchiré et qui voudrait « se refaire un nom ».

Cette manière de « béer aux choses passées » qu’avoue cultiver Yves Charnet s’avère finalement très tonique, même si passablement désespérée. C’est l’autre miracle de la littérature : elle sauve en même temps qu’elle creuse la plaie. Les « cabanes en bord de Loire » de l’auteur de « Proses du fils » ont sans doute été emportées par le temps et le courant, mais il en a fait des livres – des « vieux disques rayés » - qu’on lit et qu’on écoute sans se lasser, avec une émotion tenace et heureuse.

Michel Baglin

(Yves Charnet. « La tristesse durera toujours ». La Table ronde. 174 pages, 17 €)

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19 juin 2013 3 19 /06 /juin /2013 19:52

La langue occitane, l’amour du style, le Languedoc, la peinture sont autant de passerelles entre marie Rouanet et le peintre Jean Hugo (1894-1984) qu’elle fait revivre à travers l’évocation de son œuvre et des épisodes de sa traversée du siècle. Une conversation toute en « murmures ».

 

 

Arrière-petit-fils de Victor Hugo, le peintre Jean Hugo (1894-1984), également décorateur de théâtre et créateur de costumes, a travaillé à Paris avec les artistes de son temps et eu pour ami Georges Auric, Max Jacob, Picasso, Éluard, Satie, Cendrars, Poulenc, Radiguet, Louise de Vilmorin, Jacques Maritain, etc. et souvent des êtres qui semblent lui être opposés comme le mondain Cocteau. Embrassant la foi catholique, il s’installa dans le mas familial de Fourques, près de Lunel, dans l’Hérault, où il cMarieRouanet 200px (Ji-Elle)ontinua de peindre et de recevoir ses amis en renouant avec le monde paysan et la Provence.
Son fils Charles Hugo, qui habite près de chez Marie Rouanet, possède de nombreux documents inédits qu’il a montrés à cette dernière. Marie avait lu ses mémoires dont elle a aimé le style et a eu accès aux manuscrits, mille pages écrites à la plume d’oie. C’est en s’immergeant dans l’univers, la vie intérieure les toiles et les mots du peintre qu’elle a entamé ce dialogue intimiste par delà la mort, en parlant à celui qu’elle n’a pas rencontré mais aperçu en 1981, à Montpellier, au théâtre où l’on reprenait le « Daphnis et Alcimadure » dont il signait décors et costumes.
Une conversation en douceur et « murmures », où transparait son affection et son admiration, mais aussi parfois son agacement (devant l’aspect doloriste de son mysticisme, par exemple). Une conversation qui traverse, en évocations douces, charnues, émues et amusées, les thèmes de l’œuvre et de la vie du peintre, la guerre, la découverte de la mort, la foi, la langue occitane, la vie campagnarde, le retrait du monde, etc. comme de ses techniques, du vitrail aux miniatures.
Une conversation qui, en même temps qu’elle fait vivre le souvenir d’un peintre discret à travers « une émotion sans douleur », reprend et donne chair à ses propres interrogations sur la beauté du monde et le mystère de vivre.

Michel Baglin
Portrait de Marie Rouanet: voir ici

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12 mai 2013 7 12 /05 /mai /2013 00:00
Roald Dahl : «  Kiss kiss » & « La Grande Entourloupe »

Je ne connaissais pas Roald Dahl, auteur anglais né en 1916 et mort en 1990, jusqu’à ce qu’un ami, constatant que j’aimais et écrivais des histoires à l’humour noir, ne m’offre trois recueils de nouvelles de cet auteur qui publia pour la jeunesse comme pour les adultes et assura même le scénario d’un James Bond (pilote de guerre, il fut l’ami de Ian Fleming). Il était persuadé que j’apprécierais.

 

Ces histoires souvent macabres sont en effet racontées avec une ironie à la fois amusante et cruelle. Tel est le cas avec « Kiss kiss » (Folio n° 1029), un recueil de onze nouvelles paru en 1960. On y découvre une logeuse très affable qui semble bien finalement naturaliser les animaux et les hôtes qu’elle héberge et apprécie, on y fait la connaissance d’une veuve qui entrevoit avec jubilation comment tenir sa vengeance post-mortem sur un mari autoritaire, d’une autre épouse qui saisit au vol l’opportunité de se débarrasser d’un mari peu amène, d’un brocanteur qui découvre un meuble rare et use pour tromper les propriétaires d’une ruse qui va se retourner contre lui – chez Roald Dahl , souvent, tel est pris qui croyait prendre, comme cette femme dont le mari cocufié va se jouer.
On y croise bien d’autres personnages encore qui, sous des dehors anodins et conventionnels, cultivent de drôles d’idées et de ressentiments… Du délire d’un vicaire frustré, à la naissance difficile d’un bébé qui, hélas, va survivre (il s’appelle Hitler), l’auteur peut mettre en scène les pires fantasmes, recourir pour cela au fantastique (la nouvelle, « Cochon » en fournit un exemple étonnant), voire au pastiche, et toujours exposer avec une érudition discrète un thème donné (ici le braconnage, ailleurs la chirurgie du cerveau, la musique, l’apiculture, etc.). Et presque toujours ménager des chutes surprenantes.
Roald Dahl aime que ses personnages maltraités prennent leur revanche sur leurs tortionnaires. De même, il se délecte à se moquer de la fatuité des mâles trop sûrs d’eux-mêmes, notamment dans cet autre recueil de nouvelles plus longues, et qui toutes parlent de la chair avec une élégance et un tact british « La Grande Entourloupe » (Folio 1520), où les séducteurs finissent par pâtir de leur conquête.
Chez Roald Dahl, les dialogues sont vraisemblables, les atmosphères bien rendues, les détails pertinents et la narration pleine d’invention. Et l’humour sous-jacent ne fait qu’ajouter au plaisir de la lecture. Mon ami avait donc raison et me voilà convaincu d’aimer un nouvel auteur !

 


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20 mars 2013 3 20 /03 /mars /2013 17:43

Le temps, avec Marilyse Leroux, est lumineux et sa clarté fertile, car « une graine en feu / s’échappe de la lumière ». Et c’est un peu comme si elle irradiait autour d’elle - «  il y a dans l’air / quelque chose de vivant ». Dans l’écriture également, dont les vibrations sont éveil : des mots, des signes, elle dit : « lorsqu’ils se mettent à trembler / c’est un peu du monde qui remue ».

Ce recueil que publient les éditions Rhubarbe est ainsi comme une ode à l’air léger, aux scintillements, aux arbres étirant leurs bras dans le soleil et le chant du monde. Plus fort que la solitude et la promesse de la mort dont la présence rôdeuse reste cependant perceptible entre les lignes, « ce désir de vivre / la pleine lumière / encore une fois » est comme le leitmotiv du recueil.
Marilyse Leroux, née à Vannes, auteur de plusieurs recueils, de chansons et de nouvelles, dit du chant : « Il épouse la matière / où se consume l’univers / Il relie les formes / les êtres et les bêtes ». Le sien a l’émotion discrète, retenue, comme lorsqu’elle évoque « ces mots / que le temps resserre / entre hier et maintenant / petites poches de sanglots / contre le cœur du monde. » Il est d’abord célébration, de la vie, du vent, d’un « nous » fraternel, de telle sorte qu’ « on peut rêver /minuscule / d’un infini à sa portée ».

Au-delà de cette écriture si limpide, de ce poème souriant malgré les ombres, la grande leçon reste que « toute chose / est habitable / ici-bas »

 

(Editions Rhubarbe. www.editions-rhubarbe.com 78 pages. 10 euros. Illustration de Xureli)
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13 mars 2013 3 13 /03 /mars /2013 18:22
Un cynisme décapant
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Paru en 2007 à la Table ronde, ce deuxième roman de Michel Monnereau vient d’être repris en format de poche chez « J’ai lu ». Bonne pioche !

 

 

  « J’aspirais à un sommeil sans fond qui drainerait la fatigue en quelques heures pour me rendre neuf à l’aube prochaine. Ah ! se réveiller sans mémoire, prêt à se coltiner la grande farce du monde et trouver ça normal »  : voilà le ton volontiers désabusé de ce retour au pays natal raconté à la première personne. Le narrateur, Bernard, a roulé sa bosse sur la planète durant plus de quinze ans pour fuir la vie toute tracée (37,5 annuités avant la retraite…) qu’il voyait avec horreur se dessiner devant lui. Sans savoir vraiment pourquoi, l’envie de rentrer en pays charentais l’a pris un beau jour – celui où le roman de  Michel Monnereau commence. Et le constat est immédiat, « le monde a rétréci »
Sa mère ne le reconnait pas, son père est mort (et on l’en tient pour responsable), sa sœur est mariée à un beauf, leurs deux filles se demandent qui est ce drôle d’énergumène venu tout droit de 68 et de la beat génération… Pas de quoi sauter de joie après ces retrouvailles, d’autant que Bernard ne veut consentir aucun effort pour rentrer dans l’ordre, se contentant de cloper et de boire des bières en contemplant le désastre de la vie ordinaire. « J’étais devenu l’émigré de ma vie », se souvient-il ; mais rien n’a vraiment changé et il ne voit vraiment pas comment il pourrait réanchanter le monde ! On assiste donc à cette halte provisoire en terre trop connue durant laquelle Bernard réactive sa révolte, donne à sa nièce l’envie de partir, et dérange tout le village par sa seule présence, qui évoque le voyage et l’ailleurs…
Le regard du narrateur, et par voix de conséquence le style du roman, ne manquent pas d’un cynisme décapant, assorti d’un esprit toujours à la charge. Calembours, jeux de mots, ironie froide ne cessent de remettre le monde à sa place, de renvoyer les illusions à la niche. Derrière ce désespoir poli par l’humour plutôt noir, des tendresses risquent parfois un museau pudique. Les vies parallèle du fils et du père, du fils et de la mère, se rencontrent peut-être derrière l’horizon de la mort, en tout cas on se prend à l’imaginer quand Bernard déplore : « On ne peut pas donner ce qu’on n’a pas reçu » et dit quelque part son « besoin d’amour ».
Qu’importe cependant, car tout le charme de ce roman qu’on ne lâche pas d’une page tient à son style, à cette façon incisive de raconter la vie des gens, à cette façon sourde d’en laisser deviner les tendresses et le désarroi.

Michel Baglin

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23 février 2013 6 23 /02 /février /2013 17:22
 « Comme si dormir »

Dans l’avant-propos de ce bouleversant recueil, l’auteure raconte les circonstances du décès de sa mère, morte un dimanche, seule chez elle, après avoir regardé à la télévision un feuilleton nommé «  La mort est un poème ». Coïncidence troublante qui ouvre le territoire de l’énigme, celle de la mort et celle du sommeil qui lui ressemble, celle de la langue qui creuse la sidération et le manque, car « tant mourir n’est pas partir »…
« L’immédiat de la douleur dans la perte d’une mère a replongé l’adulte que je croyais être devenue dans un certain langage de l’enfance retrouvée », précise encore Laurence Bouvet. Et c’est un fait que devant l’« évidence du corps-silence », dans le chagrin qui ressasse « la présence dans l’absence », les souvenirs remontent, et avec eux des bribes de langage, des mots, (« c’est la vie », « éteindre la lumière en sortant », « c’est pas la mort d’aider sa mère », etc.) tandis que les formules enfantines manègent et que la souffrance remue la parole et la déstructure. «  Démembrement de (l)a grammaire », « déhanchement de la phrase », jeux de mots (« continue elle/continuelle ») et répétition-leitmotiv sont autant de moyens que trouve cette « larme de fond » pour subvertir par la poésie le langage policé, trouver par le « doux leurre » une voie à l’expression du bouleversement intime et de l’angoisse. Une façon de forcer la langue qui n’est pas sans rappeler parfois la manière d’une Valérie Rouzeau.

« La douleur est ce doux leurre
d’une présence qui demeure ».


Oui, mais elle est aussi, pour la fille, l’occasion d’un vertige, celui de se reconnaître en sa mère : « rien ne m’est d’elle qui ne soit moi qui ne soit elle ». Et pour la femme, celui de découvrir la profondeur d’une inépuisable solidarité : « Entière en chaque femme te voilà / parcelles de toi chez toutes / elles te ressemblent ».
Et puis, bien sûr et comme au bout du compte, la déréliction faufile cette langue maternelle décousue, recousue, de ses rappels aux désordres de notre sort tandis que « dans le trou de la page » la solitude s’insinue et que la conscience se tient en éveil par l’étonnement, « s’il n’est pas faux que nul ne tient sa mort pour véritable ».

(Editions Bruno Doucey 76 pages. 13 euros)
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16 février 2013 6 16 /02 /février /2013 17:10
« Selon le fleuve et la lumière » & « Quelques mains de poèmes » 

J’ai fait connaissance de Philippe Leuckx, écrivain et critique belge, né en 1955, à travers les articles de critiques et les chroniques qu’il poste sur Facebook. Mais il a également publié de nombreux recueils, et c’est à travers l’un d’eux, « Selon le fleuve et la lumière », que j’ai découvert sa poésie. Jusqu’à « Quelques mains de poèmes », son dernier ouvrage.

 

 

« Selon le fleuve et la lumière »

 

Poèmes aux vers brefs, au rythme généralement rapide, autour de villes aimées - où il se veut « ni pèlerin ni touriste / juste promeneur de l’éphémère » - et singulièrement de Rome. Même s’il parle quelque part d’un « poème issu de mes plus noirs registres », le poème « tissu de la vie / de la ville » n’est pas sombre mais milite au contraire « pour un rien de beauté à sauver du désastre ». Il y a du Hardellet (auquel il rend d’ailleurs hommage) chez ce flâneur des rues : « Je marche donc / je suis / à hauteur de la vie : de la ville ». Il cherche son bien, son bonheur et une philosophie « en quête du rien qui passe », au bord des jardins et du rêve, « là où la ville consent à ses lisières ». Dans une sorte d’accord, d’unanimisme peut-être… Et ce faisant, ainsi que le note justement dans sa préface Jean-Michel Aubevert, « il sentimentalise le quotidien ».

 

« Étrange parfois
cette traversée de la ville
comme si l’autre en vous
  vous guidait
aux carrefours
vous poussait
dans ces rues d’angle
retenait votre souffle
a bord de la tendresse
étrange déambulation
en quête du rien qui passe »


J’aime en tout cas que ce piéton, tout « témoin insignifiant » qu’il soit, s’emploie à «  regarder / le monde / à l’aune du vent »  : dans son poème – « la vie même » - on respire !

(Editions Le Coudrier. Belgique. 126 pages. 14 euros ISBN 978-2-930498-17-1)

 

 

« Quelques mains de poèmes »


L’écriture, la poésie sont si vivantes pour Philippe Leuckx qu’il les personnifie volontiers, parlant du « beau livre des visages » (titre d’une de ses plaquettes) ou, avec le titre de son dernier recueil, de « quelques mains de poèmes » . Entre « l’ampleur des choses à aimer » et le « cœur en berne » souvent, il se bat, stylo en main, contre le temps, contre l’oubli :

  « Et jusqu’à la nuit
J’entretiens le poème
Au feu bref d
es vocables
Je sabre je coupe
J’attèle les sons
A mes veines »

Les poèmes sont d’amour (« J’appelais poème votre nom / et poème encore l’énoncé d’un visage ») malgré les plaies et « après tant de tempêtes », ils parlent aussi du manque, du « rideau mordu d’ombre », de la mélancolie sous-jacente quand on garde le « cœur déhanché » ou de l’enfant qui survit en nous et cherche toujours sa voix dans l’entre-deux des heures. Mais il parle aussi de tendresse, de la faim renouvelée du monde et des « années de suie » laissée derrière soi, peut-être d’un possible accord quand on peut avancer : « Je vais, je vis je valide mes humeurs ». Être vivant, le demeurer, c’est garder les mots vivants quand, par eux, «  nous sommes des vigiles ».

(L’arbre à paroles éd. 66 pages. 8 euros.)

 

Michel Baglin
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2 février 2013 6 02 /02 /février /2013 12:46

 

Un numéro en forme d’hommage

« Traces » : un demi-siècle de poésie

Le 176e numéro de Traces sera le dernier. Il vient clore 50 ans d’une belle aventure poétique que Michel-François Lavaur lança en janvier 1963. Ses filles et lui-même ont conçu ce numéro riche de fraternité, d’amitié et, bien sûr, de poésie, qui réunit nombre de ceux ayant laissé en ces pages leurs traces.

 

 

Ce numéro d’hommage reproduit le premier éditorial de Traces de janvier 1963. Il disait à la fois la modestie d’une revue « faite à la main » (une presse scolaire) et l’ambition de présenter des auteurs de tous horizons. Je ne connais pas le nombre des poètes publiés en un demi-siècle – des centaines à coup sûr ! - mais je crois bien que tous ceux qui ont œuvré authentiquement en poésie y ont trouvé place à un moment ou à un autre !
Hélas, l’instituteur originaire de Corrèze et installé à Sanguèze, en Pays nantais, n’est plus en mesure de poursuivre le travail de l’artisan qui a composé, collé, assemblé, façonné, expédié les 175 numéros précédents. Les filles du poète, Pascale et Krystel, et Michel-François lui-même ont voulu ce numéro qui réunit de nombreux auteurs ayant participé à l’aventure. Au premier rang desquels ont trouve les amis de l’équipe éditoriale des débuts, et tous ceux qui sont venus à leur tour poser leurs traces au fil des ans (j’en fus).

Poète et passeur

La lecture de ce beau numéro d’hommage on ne peut plus mérité, comme celle de tous les précédents, donne au fond la vraie mesure de ce qu’est l’aventure poétique - qui n’a pas grand-chose à voir avec le formalisme ni les mondanités et moins encore les modes : un chaudron de création chauffé par l’enthousiasme de copains (Claude Serreau, Norbert Lelubre, Jean Laroche, Robert Momeux, Jean-Pierre Thuillat, Marine Morillon-Carreau, Jean Chatard, Moreau du Mans, J-C. Touzeil, Simonomis, Jean-Claude Vallejo, Claudine Goux, etc.) Certains ont disparu, mais d’autres sont encore là pour témoigner de la ferveur créatrice qui régnait dans et autour de cette revue qu’on disait « brouillonne » et qui était surtout foisonnante et ouverte, sans cesser d’être exigeante. Mais on ne s’en étonnera pas en se rappelant que Michel-François Lavaur est aussi et d’abord poète (français et occitan) – celui d’ « Argos » ou de « Petite geste pour un homme nu » , entre autres recueils – ce qui en fait un excellent passeur.
En marge de la revue, il y eut aussi les plaquettes et recueils édités à la même enseigne et l’imprimeur Jacques Souchu en témoigne. Ce sont les messages (proses ou poèmes) d’amitié qui chantent dans ces pages émouvantes, pleines de cette simplicité de bon aloi qui a toujours prévalu à Traces. Et l’on est heureux de retrouver là tant de plumes fraternelles, d’Odile Caradec à Georges Cathalo, de Louis Dubost à Patrice Angibaud, Guy Chaty, Claude Cailleau, Gilles Lades, Dagadès, Emmanuel Hiriart, Éric Simon, Jean-Claude Coiffard et bien d’autres encore.
Un bien beau numéro à lire « avec les vœux permanents » de Michel-François Lavaur.

(renseignements : krystel.lavaur@gmail.com )
Michel Baglin
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